Ecrire le nom d’Émilie en plaçant le H au bon endroit, cela nous mène naturellement à l’origine de ce nom de famille. FARHI est le patronyme qui vient de son papa, égyptien juif, tandis que sa maman est allemande. Quel beau mélange ! Émilie a baigné dans la richesse des langues depuis sa plus tendre enfance, c’est sur ce socle multiculturel qu’elle s’est construite. Avant d’arriver en Allemagne, Emilie a vécu trois ans à Genève et à Paris, où ses parents avaient fondé un club de jazz. « Tous les soirs j’étais en concert et je pense que cette expérience m’a guidée vers l’école Steiner parce que j’y trouvais déjà l’amour du processus éternel, des fausses notes et de l’expérimentation .» Ses parents divorcent alors qu’elle a trois ans et c’est à cet âge qu’elle part vivre à Brême, dans le nord de l’Allemagne. « Avec les musiciens de Brême ! » rajoute t’elle. Cela n’a pas toujours été facile : « Je n’ai parlé que le français jusqu’à mes 3 ans, ma mère ne m’avait jamais parlé allemand, puis, à partir du moment où nous avons vécu à Brème, tout le monde ne parlait qu’allemand, moi également , oubliant peu à peu le français. Mon père venait me voir tous les trois mois et on ne parlait plus la même langue. Toute ma vie, je n’ai pas parlé la même langue que mon père et je pense que c’est ça qui m’a beaucoup sensibilisé à cette cohérence entre ce que peut dire le corps, le langage corporel, la mélodie et les mots ». Son papa parlait l’arabe, le français, l’italien et l’anglais mais pas l’allemand. Une fois qu’elle s’est familiarisée avec l’anglais et le français grâce à sa scolarité, elle a pu converser avec son père. « finalement, ça a pris toute mon enfance et ma jeunesse jusqu’à ce que j’arrive à Paris à 20 ans! » C’est de cette richesse linguistique que lui vient la joie d’enseigner les langues au primaire.
Ce qui la met en mouvement dans la vie, c’est la recherche de sens et de cohérence, d’équilibre et d’harmonisation.
La pédagogie Steiner, c’est pour ses propres enfants qu’elle a eu très jeune, qu’elle l’a découverte.
« Arrivant sur Avignon, je cherchais un peu quelque chose qui ressemblait à ce que moi j’ai vécu en Allemagne, et je suis tombée sur une petite affiche des portes ouvertes de l’école de Sorgues. Quand je suis arrivée ici, la jardinière a chanté une petite chanson en allemand de mon enfance et je me suis dit « c’est super ! C’est ça ! ». Bien sûr, ayant vécu en Allemagne, elle connaissait cette pédagogie mais n’avait pas été elle-même élève dans ces écoles. Et l’école publique allemande possède de grandes similarités dans la manière d’organiser et de proposer les enseignements, un geste pédagogique très ressemblant, ce qui lui a donné une enfance magnifique : « Pas de barrières autour de notre jardin d’enfants, il était en plein champ, aucune maman ne travaillait. Est-ce que c’était bien pour les mamans ? Je ne sais pas, mais pour nous c’était vraiment super. »
Professeure d’allemand jusque très récemment, elle accueille aujourd’hui les tout petits au Jardin d’enfants. « Ce n’est pas exactement le même geste. ». Sur cet accompagnement au Jardin d’enfants, où elle est jardinière d’après-midi, car le matin elle accompagne individuellement des élèves plus grands en pédagogie spécialisée, elle définit ce geste d’enseignement par ces mots : « accueillir ce qui est, ce qui peut s’exprimer. Je mise beaucoup, et c’est un choix conscient, sur le jeu libre qui est la base du travail de l’enfant. Ainsi, il peut percevoir le monde, se percevoir, s’exprimer et finalement il y a mille et une choses très importantes qui se jouent dans ce jeu libre. Steiner disait que les sentiments et la volonté sont encore très « accomplis » (au sens de mélangés) chez le petit
enfant et que notre travail, c’est de les accompagner, petit à petit, où les deux se délient. Même cela pour les adultes ce n’est pas encore forcément évident ! Je veux quelque chose du monde que le monde ne veut pas. Je ne veux pas quelque chose que le monde veut de moi. Et voir les émotions que cela me procure. » Emilie se passionne par l’étude de ces processus. Elle continue à se former à l’Université à la pédagogie spécialisée qui est une approche très holistique. C’est important de dire que c’est une profession à part entière en Allemagne alors qu’elle est peu connue en France. Cette pédagogie combine des méthodes de différentes disciplines (pédagogie, psychologie et travail social). Toutes ces mission en France sont réparties sur des professionnels hautement spécialisés comme les psychomotriciens, les ergothérapeutes, les éducateurs spécialisés, orthophonistes. En Allemagne, les pédagogues spécialisés portent dans leur regard et leur action toutes ces disciplines. Un éventail de compétences qui permettent de mieux accompagner l’enfant aux besoins spécifiques. Les adultes peuvent être accompagnés aussi. Cette orientation en Allemagne est très reconnue et très répandue. Le « handicap » (ou difficultés handicapantes) selon Steiner est à voir comme un spectre qu’il est nécessaire de comprendre avant de l’accompagner.
Emilie est très inspirée par Carl Rogers, psychologue, et Niklas Luhman, sociologue, pour la théorie systémique. Fascinée ces derniers temps par un concept particulier de l’être humain comme système qui s’organise et se détermine lui-même, l’autopoïèse. Chaque éducation n’est que auto-éducation finalement. L’éducateur étant l’environnement de l’enfant qui s’éduque lui-même. Ce qui ne veut pas dire d’abandonner l’enfant à lui-même, c’est profondément différent. L’éducateur a donc la responsabilité de créer l’environnement adéquate et sécure pour l’enfant.
« Chaque être humain peut être fourni en eau, mais pas forcé à boire » Luhman. Cette citation illustre bien ses propos.
Emilie se ressource et poursuit ses réflexions dans sa maison et beaucoup dans la nature.
« Cela fait une vingtaine d’année que je suis parent dans l’école et membre de l’équipe pédagogique depuis 2011, et je trouve extrêmement intéressant d’amener les pédagogues à s’exprimer comme vous le permettez aujourd’hui. »
Merci beaucoup Émilie pour toute cette richesse partagée, c’est passionnant.